Je voulais si fort qu'on m'aime. N'importe qui. N'importe quelle âme qui vive ou qui vive pas, ma mère mon père, mon t-shirt de Batman & Robin ou b'en un robineux rue Ontario. Quand j'étais haut comme une borne-fontaine, maman avait acheté une caméra vidéo et j'avais besoin de vivre, à l'intérieur. Quand la lumière rouge s'allumait, je gigotais, je criais, je montrais les dents, la langue, je chantais Jingle Bells, faisais des arabesques, je remuais ciel et terre, tant que j'avais l'impression de briller, dedans. Dedans la lentille. J'aimais son oeil globuleux et scintillant, et puis j'avais tout le temps le goût de me regarder sur la TV couleur, après. C'est pas particulièrement parce que je me trouvais beau, c'est pas particulièrement parce que j'avais envie de me noyer dedans moi. Mais il fallait bien que quelqu'un me regarde et quand moi je me regardais, c'était mieux que rien, il me semble.
Je sais que tout ça, c'est des problèmes de filles et que je devais être un peu spécial, d'un sens. Les petits gars qui veulent de l'attention, d'habitude, ils cassent les choses et les personnes et ils disent des gros mots. Moi, je chantais, je dansais et je faisais les yeux qui roulent et qui clignent vite, version Marilyn Monroe. À trois ans, j'avais appris mon livre du Dragon dans un chariot par coeur et j'étais allé voir les voisins, un par un, pour faire mon spectacle. Je savais tourner les pages au bon moment et prendre le bon ton pour que l'histoire soit belle, et tout. Les voisins trouvaient que j'étais un vrai génie et ils m'applaudissaient. Ensuite, j'ai commencé à être un peu plus grand et plus intéressant et j'ai appris le moonwalk plus imitation de Madonna version Like a virgin (mais je chantais pas pour vrai). J'ai battu tous les records de cotes d'écoute, au sens figuré. Quand on est comme je suis, sans histoire, de bonne famille, ni-beau-ni-laid, bien-mis-bien-éduqué, sensible au monde et à l'art, quand on fait encore pipi au lit, des fois, et qu'on est un peu grand, on fait ce qu'on peut. Moi, ça m'apaisait, pour un temps.
Mais là, j'ai commencé à avoir des poils et des envies et la vérité, c'était écrit dans le ciel, c'est que j'ai plus vraiment eu le droit d'être comme je suis et ça a commencé à m'embêter en crisse. Je voulais si fort qu'on m'aime. N'importe qui, n'importe quelle âme qui vive ou qui vive pas. Mes soeurs, mes frères, mes souliers griffés. Une prostituée avec des couilles rue Ontario. Les trucs que je mettais dans mon nez pour qu'on m'aime plus. plus. plus. J'ai appris à aimer les filles, mais surtout leur cul, comme c'est de mode et de coutume pour la gente masculine. J'ai appris des phrases gagnantes, j'ai pratiqué des mouvements, des clins d'oeil, comme dans la TV couleur. Dans mon miroir, j'avais l'air vrai. Tout avait l'air vrai. Dans les bars, tout était parfait, je brillais devant mon public. Je les déshabillais en les embrassant dans le cou et leur tirais les cheveux, dans le noir, je leur disais que je les aimais si fort, si fort, que je les aimerais pour toujours et perdais leur numéro, comme c'est de mode et de coutume pour la gente masculine. Elles venaient jamais chez moi, parce que je voulais pas de traces d'elles dans mon appartement. Parce que je voulais pas de leur boucle d'oreille oubliée sur la table de chevet. Pas de leur pince à cheveux à la traine sur le rebord du bain. Pas de leurs petits doigts sur mes cahiers, sur mes posters. Parce que j'étais terrorisé par ces créatures petites, comme moi, avec leurs grands yeux qui me regardaient au travers. Je voulais pas qu'ils me voient en plein jour cru, ces yeux-là. Je revenais chez moi pendant qu'elles dormaient, je me lavais en frottant bien, jusque sous les ongles. Mouchais deux-trois coups, à cause de la came. Me rasais, au complet.
Je voulais être comme Batman et être le plus fier et le plus grand et le plus fort, mais je suis trop maigre et mes pieds sont en canard. J'ai jamais scoré au hockey, jamais. Me suis jamais battu avec un gars en forme de frigidaire, dans un bar. Je suis lâche comme un couillon, câlisse. Ni-beau-ni-laid, sans histoire, enfin comme on sait.
Ma mère a toujours dit, on a pas tout c'qu'on veut, dans la vie.
Moi je trouve que des fois, on a tout c'qu'on veut pas.
Quand je me couche en petite boule morte, dans mon lit, le soir, je m'imagine quelque part où j'ai pas vraiment le droit d'être en train de faire des choses que j'ai pas vraiment le droit de faire. Je pense à mon père, qui achetait toujours le plus de livres possible sans jamais même en voir la couleur des pages. Je pense à ma mère, qui achetait toujours le plus de robes possible sans jamais même en porter une seule, parce qu'il fallait pas froisser le beau tissus doux qui coûte cher. Et je dis à mon coeur mort chut-chut-chut. Mon Coeur, tu sais, y a du pelletage de nuages qu'on peut pas se permettre, dans la vie.
Moi, une fois, en petite boule morte, dans mon lit le soir, j'ai mis mon suit de fini et mes ailes de Batman passées date, j'ai volé jusqu'en l'air, à mon plus haut, jusqu'à ce que mes yeux virent à l'envers et clignent vite, version Marylin Monroe quand y en restait plus grand chose. Et j'ai passé la souffleuse dedans, mes nuages morts. C'était écrit dans le ciel. Chut-chut-chut.
Je n'ai pas de tête. Je suis omnipolaire. Je marche dans les rues en chantant mal et en faisant des punch de drum avec mes mains et en buvant du vin dans un sac en papier brun. Je bois aussi des cafés-filtre au Dégueulton, des fois j'y travaille et tout le temps j'y écoute aux tables. Je sors danser dans les bars country. Je suis pas super en Charleston. Je cherche une liberté douce. Je fragmente les histoires des gens que je rencontre au cours de mes soirées qui n'ont ni tête ni rien non plus.
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