Un homme, moustache et casquette, Montréal, Québec. Par Nina Raginsky. |
Lui il a pas de père pas de frères pas de soeurs en tous cas il sait pas c'est qui, il sait juste c'est qui sa mère mais ça fait pas longtemps. Quand il était petit il avait juste une tante pis un oncle pis un golden retriever pis un camion.
Quand il était petit il l'imaginait sa mère avec des bigoudis la nuit et des frisettes le jour, avec du bleu sur ses yeux une cigarette longue et des souliers en cuir plus une boucle dessus. Il l'imaginait dans une Camaro avec un foulard en soie dans ses cheveux et Elvis au boutte en background avec qui elle aurait chanté super bien. Tante et oncle avaient jamais rien dit sur la mère sauf son nom Henriette, ils avaient trop peur qu'elle revienne pas des États-Unis mais ils avaient surtout peur pour leurs fesses à eux, c'est tannant une vie avec ton pas-fils à qui faut que tu fasses du ragoût pis des hot-dogs à tous les jours au lieu de manger au restaurant en buvant beaucoup de whisky. La mère est revenue finalement et elle avait rien d'autre de beau que des cheveux courts blonds des sneakers de course et une amoureuse comme dans les films américains, et la seule chose qu'elle a dit en premier c'est "maudit comment ça que vous lui avez fait les cheveux comme une brosse".
Quand il était moins petit il s'est mis à imaginer son père à la place, grand avec des jeans pattes d'éléphant, un tattoo à l'intérieur de l'avant bras et des bagues en tête de mort. Il l'imaginait faire de la moto avec pas de casque en fumant des joints, il se voyait chanter du Led Zep avec et jouer de la guitare dans un ampli crinqué au boutte. Quand il l'a vu pour la première fois son père, quand sa mère nouvelle lui a montré sur une photo il a un peu pleuré par en-dedans parce qu'il portait un coton ouaté et une moustache et c'est la dernière fois qu'il a posé une question dessus.
Maintenant, il se fait trente blondes par année qu'il aime pendant un point quatre-vingt-sept semaines chacune en moyenne, il se regarde beaucoup dans le miroir et c'est tout.
Elle elle a plein de frères plein de soeurs, plein qu'elle connaît pas peut-être même qu'elle sait pas qu'ils existent, c'est parce que sa mère en a donné beaucoup qui ont été distribués à travers le monde entier et qu'elle est la seule qu'elle a gardée. Un jour elle a parlé avec un Maurice au téléphone qui lui a dit "allo ma soeur" avec un accent français et il a bien fallu que quelqu'un lui explique quelque chose, alors c'est comme ça qu'elle a su. Elle a aussi un père qui s'appelle Ricardo mais elle le connait pas non plus parce que quand on la portait chez lui, il l'emmenait tout de suite après chez sa mama tellement il savait trop pas quoi faire avec. La mère l'a su et elle a emmené sa fille en Allemagne pour que plus jamais personne lui fasse de la peine, elle s'est mise à toujours dire qu'elles étaient bien hein toutes seules les deux et qu'elles avaient pas besoin de personne en tout cas. Elles ont jeté les photos de Ricardo, celles de lui sur son vélo celles de lui sur la montagne, et celles surtout de la journée à la piscine quand une autre petite fille avait couru dans ses bras en criant "papa papa" et qu'ils étaient partis sans rien dire. Elles ont aussi jeté les photos des autres monsieurs qu'elles savaient pas s'ils avaient rapport dans une histoire ou non, certains avec des moustaches d'autres avec des gros sourcils et certains encore avec des gros muscles et des haltères.
Maintenant elle est revenue là où elle est née avec son ex Allemand qui veut encore la garder pour lui tout seul mais elle veut rien savoir. Quand elle marche dans la rue avec ses enfants dans la poussette, elle cherche les faces qui lui ressemblent, elle aimerait donc ça avoir une grande soeur surtout parce que Maurice il répond plus jamais au téléphone et qu'elle a présenté ses deux filles à Ricardo, qu'elle a revu mais qu'elle appelle juste Ricardo, et qu'il préfère sans se cacher celle qui lui ressemble le moins à elle. Et aussi parce que sa voisine rit pareil pareil comme sa mère et que c'est fucké.