Je n'ai pas de tête. Je suis omnipolaire. Je marche dans les rues en chantant mal et en faisant des punch de drum avec mes mains et en buvant du vin dans un sac en papier brun. Je bois aussi des cafés-filtre au Dégueulton, des fois j'y travaille et tout le temps j'y écoute aux tables. Je sors danser dans les bars country. Je suis pas super en Charleston. Je cherche une liberté douce. Je fragmente les histoires des gens que je rencontre au cours de mes soirées qui n'ont ni tête ni rien non plus.

lundi 31 janvier 2011

Caroline-Canevas.


Radiating Expansion, Paul-Émile Borduas
Caroline-Canevas.
Canevas-pas.
Caroline-ne-se-ressemble-pas.
Une toile blanche, comme son front
où rien ne vit.
Rien ne bouge.
Mais s'y couchent les bouches et les corps endormis.

Caroline-Canevas-pas peinture des faces qui pleurent.
En gris et gris foncé. Gris pâle aussi et en brouillard.
Ses toiles sont comme des grands trous noirs.
Elle s'y lance, comme on se crisse dans les murs.
Coulent la sueur et la peinture.
Au bout de ses bras.
Qui donnent plus que ne reçoivent.
Parce que la peinture ne pardonne pas.

Tu te réveilles t’es toute seule. Bravo Caroline. Chapeau Caroline t’es guérie je crois. Il fait froid comme dans un égout.

Ébouriffe tes cheveux. Répands des larmes sur tes joues, dessine-z-en avec du mascara noir, recouvre ta face qui ne part pas à l’eau ni au savon. Tu vas trop vite, attends. Je veux voir comment ta bouche, comment tes yeux, comment leurs contours se déforment quand tu pleures d’être toute seule au monde. Je veux voir si ta ride de front est centrée ou plus à gauche ou plus à droite, ou si t’en as deux.  Si ton menton tremble. Si ton nez coule. 

T’es laide quand tu pleures, Caroline. T’es laide laide.

T’es laide quand tu souris.

T’es laide quand tu fais rien, quand tu dors, t’es laide.

T’es laide quand t’es sobre, quand t’es seule encore plus.

T’es laide quand tu te cognes la tête par exprès sur le bol de toilettes, quand y a du sang qui coule, qu’il se prend dans le sourcil gauche, qu’il contourne l’œil et l’aile du nez, qu’il s’infiltre dans les lignes et dans les pores et que tu le laisses descendre jusqu’en bas, sur tes lèvres. Quand tu le lèches et que tu le goûtes sur ta langue sèche. Ta peau est trop blanche, as-tu mangé quelque chose aujourd’hui, avec le sang t’as l’air sortie d’une tombe. Mais ça fait des belles peintures quand tu en prends un peu avec ton doigt et que tu traces le contour de ton semblant de visage sur le miroir. Quand ça sèche, on dirait la mort mais en brillant. La mort comme des traits qui se détachent, qui s’envolent en toutes sortes d’oiseaux blancs blessés. Des mouettes, des goélands, des mouettes et des goélands, les yeux sont deux istorlets hirondelles de mer. Des oiseaux qui ont mangé des épingles à couche et des épingles à couture.

-       La vie est laide et toi aussi. Et toi et toi (…). Tu comprends pas, j’suis Borduas (…).

Sors ta catastrophe de toile. Fais un trait ocre là et un trait bleu marin là. Et là et là. Plus gros le trait. Rajoute du gris pas mal de gris toutes sortes de couleurs de gris. Du vert de gris du gris de poussière du gris de cendres du gris de métal. Ne respire plus. Fais des carrés fais des rectangles fais des coupures circulaires des trous géométriques fais des numéros majuscules.

-       All you need is love.
-       Allo? Qui parle?
-       Veux-tu baiser à soir?

Canevas-pas sort dans les bars.
L'alcool s'efface, pas comme les taches.
Pas comme les visages sur ses bricolages barbouillés de suie.
Elle y boit deux bouteilles et demi.

-       Réveille-toi j’veux sortir d’icitte.
-       Ben là, y est une heure du matin.
-       J’men crisse t’es out.
-       Ostie de folle, tu vas te ramener un autre gars c’est ça hein avoue.  Tu vas te saouler jusqu’à pus te rappeler comment tu t’appelles c’est ça hein avoue. ‘toute façon j’m’en sacre de toi pas mal.

Qu’est-ce que tu veux que ça lui fasse, à Caroline. Elle a son téléphone, elle a des centaines de contacts. Des centaines, c’est pas vrai, des dizaines de centaines, qui se rappellent plus comment elle s’appelle. Qu’est-ce que ça peut bien faire qu’elle s’appelle Sabrina ou Chloé ou Ciseau ou Confiture. Elle envoie des messages texte. Des dizaines de messages texte. Des dizaines de centaines, et elle en reçoit, elle en reçoit, c’est vrai. T’as besoin que d’un numéro pour ça. Un numéro de dix chiffres avec trois zéros pas de barre.

L'alcool s'efface, pas comme les taches.
L'alcool pardonne, pas comme les gens.
Caroline-canevas-n'a-pas d'amis.
Que des amants.
Pas de talent, pour rien de rien.

Alors elle braille elle braille elle crie.

-       La vie est laide et toi aussi. Et toi et toi (...) Tu comprends pas, j’suis Borduas. J’suis Borduas mort et ressuscité d’entre les morts. Et toi et toi (…).

Y a des rangs et des rangs de shooters sur le bar. Aussi bien grimper les boire à genoux la tête dedans le nez bouché ça va plus vite ça dégueule moins, toi tu veux goûter quelque chose comme un goût de tarte ou de chausson à maman mais ça goûte le cœur-canelle et le sucre d’orge et le kérosène mais pas le temps d’y penser bois! c’est bientôt last call. 514-942-8383 tient tes cheveux qui traînent dans sa bière, toi tu cherches ton verre de contact mais peut-être que tu l’as bu ou peut-être que tu l’as encore mais que tu t’es juste mis du cœur-canelle dans l’œil.

-       Tu sais ce que j’aimerais? J’aimerais m’acheter une perruche verte qui sourit de son bec pis avec des plumes croches. Paraît que ça chante des fois ces affaires-là, paraît que même ça peut parler, paraît que tu peux les transporter sur ton épaule si t’es vraiment bon. Moi je lui apprendrais des chansons de Gainbourg à ma perruche.
-       Ouais. qu’y dit 514-whatever.

T’as envie de pipi. Tu te lèves tu enlaces les murs tu leur donnes des becs au passage mouah mouah merci mesdames et merci messieurs la vie est laide etc.

La douleur fait toujours moins mal dans la gueule
quand on y est pas tout seul.

-       Love is all you need.
-       Quoi?
-       Viens-t’en, viens-tu. On va aux pommes. Viens-tu? C’est Paul-Émile. Viens-t’en, chez moi j’ai des pommiers fabriqués en pinceaux de bois, j’ai de la pelure de pommes en papier construction, j’ai des oiseaux en morceaux de fenêtres. On va faire de la compote avec le rouge sur mon miroir, de la compote de nez qui coule de front qui pisse. J’ai pus soif.

Tu exagères.

Caroline-Canevas.
T'as qu'à retourner te coucher
sur ta toile ton lit.
Comme on se couche sur ton ventre
sans t’regarder sans dire merci.

Et pas de couverture.

Tu te réveilles t’es couchée par terre en étoile pleine de Jack Daniel’s pleine de sperme séché dans ton visage, t’as un trou dans tes collants mais c’est ça qui fait beau, t’as un trou dans ton ventre mais c’est ça qui fait vie c’est ça qui fait liberté, des petits trous des petits trous encore des petits trous des barres noires des barres noires, des barres de grande guerrière de chef indienne de karatéka. Les barres noires épaisses comme des coulis de chocolat à Paul-Émile, les carrés, tes carrés, les oiseaux foncés aussi oh les petits oiseaux.

Y a plus de miroir.
Y a plus que les dessous de pieds qui peuvent se regarder encore faut-il que les morceaux soient du bon bord.

Tu appelles ta mère, tu l’appelles par son prénom.
 Allo allo Claudette je crois que j’ai fait une bêtise j’ai pris des trucs Claudette ta fille est folle Claudette t’aurais pas dû lui acheter des souliers griffés avec des brillants dessus des robes de princesse des bicyclettes des fers à friser t’aurais pas dû toujours dire oui Claudette tu pensais rien qu’à toi maudite Claudette aime-moi Claudette please please please ok viens donc me cuire une tarte ou quelque chose aux pommes c’est l’automne come on dis oui qu’est-ce que t’as fait à ta fille hein hein ta fille est cinglée et je veux m’envoler en oiseaux blancs-blessés par mon visage je veux manger une épingle à couche ouverte Claudette.

Claudette te dit « shhh, shhh. Et puis shhh, shhh. Et ensuite shhh mon bébé d’amour, shhh ». Tu l’entends dis, Caroline Canevas-pas mieux? Un peu un poil un rien du tout.

Et tu prends un verre d’eau, shhh shhh, tu vas t’acheter du café à la fraise, le ciel a pas d’oiseaux dedans, il sont pris dans les nuages sans aucun doute, le ciel est libre de vivre ou de mourir, il EST. Comme toi, savais-tu ça. Il fait douze degrés et demi ou presque. C’est juste OK pour la chair de poule, shhh shhh, ça fait du bien, c’est comme du vent dans des mauvaises herbes qui leur dit que c’est pas grave d’être mauvaises.

-       Merci pis je veux de la gomme balloune pour shooter les goélands avec ma bouche comme un canon de bazooka.

Tu rentres chez toi quelle heure est-il as-tu mangé quelque chose aujourd’hui m’en rappelle plus une gomme je crois baie tropicale ou cannelle infernale veux-tu écouter La vie, la vie ou bien la peinturer dans la télévision?

Caroline elle jaune elle vert elle bleut.
Marin.
Comme ses dedans de cuisses.
Elle peint avec la mousse de lait fraisée
dans les petites craques.
Écrase le gobelet au milieu.
Sur l’écran embrouillé.
Se fait une manucure.
Se lime les coudes ensuite les jointures.
La langue qui goûte la moisissure.
Les mains.
Fait des montagnes de fuckall rien.
En poudre.

Un petit rayon. Veux-tu aller jouer dehors? Pas tout de suite, pas prête, faut que tu fasses un lavage, faut que tu te spinnes à cycle délicat et que tu te fasses sécher avec un feuillet de sent-bon qui déteint du ciel, de l’herbe et des ruisseaux doux. Là, à l’extérieur, les nuages mettent au monde des anges qui ont un bec et des plumes, les personnes sont belles dans leurs yeux dans leur âme faut pas généraliser, octobre a beaucoup de chats à fouetter et aussi des monstres et des sorcières mais pas toi toi t’es hors de danger. Là, à l’extérieur, y a des petits nids d’amour qui sentent le propre, le lavé à sec, y a des châteaux décorés de Borduas et de Riopelle avec des gens dedans qui ont des yeux pour les voir, t’espères. Y a des mamans qui parlent pas juste en vent, y a des êtres humains qui vont peut-être te demander ton nom, qui vont peut-être s’en rappeler qui sait, des humains qui déchirent pas les bas collants ou du moins juste quand tu vas leur demander. Dehors y a un nouveau miroir à acheter quand tu seras prête pas aujourd’hui, mais t’es pas obligée, c’est pas nécessairement nécessaire de te voir exister cent fois par jour.
Et t’as une œuvre à achever, Caroline. Ton canevas va, je te le jure. Y a un visage qui attend de vivre, là. Regarde ses yeux d’istorlets hirondelles de mer. Regarde son front de Paul-Émile. Regarde sa bouche qui veut shooter les oiseaux-vidanges avec une gomme bazooka.

Regarde ses joues. Regarde-les. Je te le jure, elles veulent rosir.
Elle le veulent.

Et coulent la sueur et la peinture
Coulent la sueur et la peinture
Au bout de ses deux bras-blessures.

1 commentaire:

  1. Best-shotte.
    Tu devrais l'envoyer quelque part.
    Ce texte-là il veut vivre de vie.

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